Les grandes lignes de l'Histoire de l'Hypnose
L’hypnose est une pratique ancienne, marquée par une histoire complexe qui traverse les époques et les cultures. De ses usages rituels à ses applications contemporaines en psychologie et en médecine, elle a été façonnée par des figures clés dont les idées — parfois contestées, souvent revisitées — ont contribué à sa reconnaissance actuelle.
Les débuts : entre rituel et observation
Dès l’Antiquité, des états de concentration intense ou d’absorption étaient utilisés dans des contextes spirituels ou thérapeutiques. En Égypte et en Grèce antique, des prêtres ou guérisseurs guidaient des personnes vers des expériences introspectives dans les temples de guérison, souvent dans l’espoir de soulager la souffrance ou d’obtenir des révélations.
Ces pratiques témoignent d’une intuition ancienne : l’esprit peut influencer le corps, et l’attention focalisée peut modifier l’expérience subjective.
Franz Anton Mesmer (1734–1815) : Le magnétisme animal
Mesmer est souvent cité comme une figure précurseur, bien que ses théories aient été réfutées. Au XVIIIe siècle, il propose l’idée d’un « magnétisme animal », un fluide invisible censé circuler entre les êtres vivants et influencer la santé.
Une commission royale — incluant Benjamin Franklin et Lavoisier — conclut en 1784 que les effets observés ne provenaient pas d’un fluide, mais de l’« imagination » du sujet. Cette conclusion marque un tournant : l’efficacité vient non pas d’une force extérieure, mais de processus internes liés à l’attente et à la suggestion.
James Braid (1795–1860) : Vers une approche rationnelle
Le chirurgien écossais James Braid introduit le terme « hypnose » en 1843, dérivé du grec hypnos (sommeil), bien qu’il corrige rapidement cette idée. Il montre que ce phénomène n’a rien à voir avec le sommeil, mais relève plutôt d’une fixation attentive prolongée.
Braid rejette les explications mystiques et propose une vision neurophysiologique : l’hypnose est un état de concentration intense, susceptible d’influencer la perception et le comportement. Il en fait ainsi l’un des premiers à la considérer comme un objet d’étude scientifique.
Jean-Martin Charcot (1825–1893) : Hypnose et hystérie
Neurologue à la Salpêtrière, Charcot utilise l’hypnose pour étudier l’hystérie. Il la présente comme un état pathologique, réservé aux hystériques, et la divise en phases stéréotypées.
Ses démonstrations spectaculaires influencent Freud, mais seront rapidement contredites par ses contemporains, notamment Bernheim, qui montre que l’hypnose est un phénomène normal, lié à la suggestion, et non à une maladie.
Hippolyte Bernheim (1840–1919) : La suggestion au cœur du phénomène
Opposé à Charcot, Bernheim affirme que l’hypnose repose sur la suggestion et qu’elle est accessible à presque tout le monde. Il insiste sur le rôle de la relation thérapeutique et de l’attente du sujet.
Sa vision, plus démocratique et moins médicalisée, ouvre la voie à une compréhension psychologique — plutôt que neurologique — de l’hypnose.
James Esdaile (1808–1859) : L’hypnose en chirurgie
Médecin britannique travaillant en Inde, Esdaile utilise des techniques de suggestion prolongée — qu’il appelait « magnétisme » — pour réaliser des interventions chirurgicales sans anesthésie chimique. Il rapporte des centaines de cas où les patients ne ressentaient ni douleur ni saignement excessif.
Ses observations, bien que impressionnantes, sont aujourd’hui interprétées non comme la preuve d’un « état de transe profond », mais comme un exemple extrême de l’effet placebo, de la dissociation attentionnelle, ou de la modulation de la douleur par la suggestion.
Le XXe siècle : Diversification et recherche
Le XXe siècle voit l’émergence de courants variés, alliant innovation clinique et recherche expérimentale :
- Milton H. Erickson (1901–1980) : Il développe une approche indirecte, flexible et centrée sur les ressources du patient. Plutôt que d’imposer des suggestions, il utilise métaphores, ambiguïtés et langage conversationnel pour favoriser des changements auto-guidés.
- Dave Elman (1900–1967) : Il popularise des inductions rapides, très utilisées en milieu médical pour la gestion de la douleur ou l’anxiété.
- Clark Hull (1884–1952) : Dans son ouvrage Hypnosis and Suggestibility (1933), il traite l’hypnose comme un phénomène mesurable, soumis aux lois de l’apprentissage et de la motivation.
- Ernest Hilgard (1904–2001) : Il propose la théorie de la « dissociation néodissociative », suggérant que l’hypnose implique une division temporaire de la conscience — une idée aujourd’hui discutée, mais qui a stimulé de nombreuses recherches.
*(Note : Stephen Gilligan, bien qu’influent en thérapie, n’est pas une figure historique centrale dans l’évolution scientifique de l’hypnose.)*
Deux perspectives contemporaines
-
La suggestion comme moteur du changement
La majorité des chercheurs contemporains considèrent que les effets de l’hypnose proviennent de la suggestion dans un contexte spécifique : cadre sécurisant, relation de confiance, attente positive, et focalisation de l’attention. Il n’est pas nécessaire d’invoquer un « inconscient » ou un « filtre mental » pour expliquer ces phénomènes.
-
L’expérience subjective de perte de contrôle
En hypnose, certaines personnes rapportent que leurs actions « se font toutes seules », même si elles les exécutent volontairement. Ce phénomène — étudié par des chercheurs comme Daniel Wegner et Amir Raz — s’explique par une modification temporaire du sentiment d’agentivité, lié à l’attention et aux attentes, et non à une dissociation réelle de la volonté.
Synthèse : Une pratique en constante redéfinition
L’hypnose a évolué d’une croyance en des forces invisibles à une compréhension fondée sur la psychologie cognitive, la neurosciences et la communication. De Mesmer à Braid, de Bernheim à Erickson, chaque étape a permis de mieux distinguer ce qui relève de la suggestion, de l’attente, de l’imagination et de l’apprentissage.
Aujourd’hui, l’hypnose est utilisée avec succès dans des domaines variés : gestion de la douleur, anxiété, arrêt du tabac, accompagnement thérapeutique, performance… toujours dans la mesure où elle est pratiquée de façon éthique, informée et sans promesse illusoire.
Loin d’être une relique mystique, l’hypnose est un outil puissant, fondé sur des processus mentaux ordinaires — mais mobilisés de façon exceptionnelle.